Les 11 et 12 janvier 1920, au large des côtes vendéennes se joua le plus grand drame maritime français.
Le 9 janvier l'Afrique, un paquebot mixte de 119 mètres de long et près de 15 mètres de large, quitte les quais de Bordeaux à destination du Sénégal avec 602 personnes à son bord. En plus des 135 membres d'équipage sous les ordres du commandant Antoine Le Dû, 467 passagers se répartissent entre les 1ère, 2ème et 3ème classes. Parmi ces passagers des industriels avec femmes et enfants, des missionnaires ainsi que 192 tirailleurs sénégalais survivants de l'enfer des tranchées qui rentrent au pays.
Le 10 janvier, alors que le navire fait route vers le large dans une mer formée, les mécaniciens détectent une voie d'eau à la chaufferie. Ordre est donné de lancer les pompes d'assèchement et de ralentir l'allure afin de diminuer roulis et tangage. La voie d'eau ne semblant pas importante, Le commandant, homme d'expérience, maintient le cap vers Dakar. Les événements qui vont suivre vont le contredire sévèrement.
La nuit tombe, la température chute, le vent forci et la mer se creuse un peu plus. La tempête approche. Dans les entrailles de l'Afrique, la voie d’eau s'aggrave. Les tentatives pour l'enrailler sont vaines et l'eau commence à monter dangereusement. Tard dans la nuit, des escarbilles encrassent les pompes et celles-ci s'arrêtent. Les hommes ont à présent comme unique solution d'écoper avec des seaux. La situation devient critique. Le Commandant décide de faire demi-tour et de rentrer vers La Pallice qui se trouve maintenant à 70 milles nautiques. Dans le même temps un message est envoyé à la compagnie pour l'avertir de la situation.
Ordre est donc donné de virer de bord pour mettre cap vers le continent. Malheureusement, le manque de vitesse et les conditions de mer font échouer le premier essai, puis le second. L'appareil à gouverner se met en défaut, puis redémarre, d'autres virements de bord sont tentés... en vain ! La tempête a maintenant fait place à un ouragan soulevant des vagues de 10 mètres de haut rendant l'Afrique très difficicilement manoeuvrable. La catastrophe est en marche.
Le 11 au petit matin, le commandant Le Dû annonce sa situation par TSF et demande assistance d'urgence. Mais la mer est impraticable pour les remorqueurs des ports les plus proches et ils sont contraints de faire demi-tour pour ne pas eux-même sombrer. Seul un navire déjà en mer va se manifester, c'est le Ceylan, un cargo plus grand que l'Afrique. Affrontant lui aussi le gros temps il se déroute pour lui porter assistance. A bord de l'Afrique les passagers sont presque tous malades et dans un état second, inconscients du drame qui se joue. Les marins continuent tant bien que mal d'écoper la mer qui envahi la machine du paquebot afin de maintenir la propulsion et l'énergie.
En milieu d'après midi, le Ceylan arrive à hauteur de l'Afrique. Le commandant Le Dû lui demande de l'escorter jusqu'à la côte. L'Afrique tente de se remettre en route. Les événements vont s'enchaîner rapidement. L'eau monte en machine et les chaudières sont progressivement noyées. Privées de vapeur, les machines s'arrêtent. Le paquebot n'est alors plus du tout maître de son destin. La nuit tombe et il dérive dangereusement vers le plateau de Rochebonne où déferlent des vagues de 15m de haut. C'est alors que la dynamo s'arrête à son tour, plongeant le navire et ses passagers dans le noir. Le Ceylan ne pouvant plus l'apercevoir n'a d'autre choix que de s'éloigner afin d'éviter d'être pris dans la catastrophe.
Les compartiments machine totalement noyés, l'Afrique ne flotte plus que grâce à ses cloisons étanches préservant le reste du navire. Mais ce n'est qu'un sursis. En fin de soirée, à la dérive et dans le noir, le navire vient heurter violemment le bateau feu signalant le plateau de Rochebonne. L'importante voie d'eau qui s'en suis anéanti le dernier espoir du commandant de sauver son navire. Il ordonne de procéder à l'évacuation. A la lumières de torches et dans une mer en furie les premiers canots de sauvetages sont à peine descendus qu'ils sont arrachés par les vagues emportant déjà des premières vies.
Dans la nuit, le froid et à bord d'un navire qui sombre sous leurs pieds, les passagers malades et paralysés par la peur refusent de prendre place dans les embarcations de sauvetage. Le 12 janvier vers 3 heures du matin, envahi par la mer, l'Afrique s'enfonce sous les flots déchainés emportant avec lui 568 hommes, femmes et enfants, c'est à dire la quasi-totalité des passagers et marins qui avaient pris place à son bord. Seuls 34 rescapés toucheront péniblement terre au matin. Durant des semaines, les corps viendront s'échouer sur les côtes vendéennes. Survenu 14 mois après la fin de la grande guerre et en pleine période électorale, le naufrage n'aura qu'un faible traitement médiatique.
Depuis cette dramatique nuit, le paquebot Afrique repose sur un fond de sable à -47 mètres environ et à 23 milles nautiques des Sables d'Olonne. Il offre à ses visiteurs une plongée mémorable par bien des aspects. La tôle, bien sûr. Parcourir les restes de la chaufferie et ses 6 chaudières, passer entre les 2 immenses machines, se glisser dans les entre-ponts de la partie avant, se poser à genoux face à la majestueuse étrave, à l'opposé, admirer la poupe avec son hélice bâbord colorée et le safran encore à poste. Une plongée ne suffit bien sûr pas...
Puis la faune... Des milliers de tacauds, qui par endroit forment un tapis de plus d'un mètre d'épaisseur, les lieus du large qui viennent vous faire face, les congres qui chassent sans faire attention à vous, les crustacés de toutes sorte... et bien sûr, avec un peu de chance : les poissons lune. Le Mola, Graal du plongeur en Atlantique !
Mais l'Afrique c'est aussi une plongée sur le lieu d'un drame. Si l'épave est magnifique, la faune incroyable, il ne faut pas oublier qu'ici même, le 12 janvier 1920, 568 vies s'éteignaient dans l'eau froide...
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